THE COLLECTION Julien-Loïc Garin
« Une collection, c’est un peu un roman achevé.
Une collection, c’est une écriture. »
Yves Saint Laurent, Paris Match, 19 août 1999
Julien-Loïc Garin est un auteur-joaillier. Il crée des joyaux comme l’on invente des personnages. Chaque bijou a son histoire, son caractère et son pouvoir propre enfermés dans son écrin de pierres, de perles et d’or. Ses bagues, uniques, sont des livres que l’on garde à son doigt.
En juin 2022, Julien-Loïc Garin présente ses créations chez Laurence Vauclair, galeriste et antiquaire parisienne de renom, spécialisée dans la céramique artistique et le mobilier en rotin de la seconde moitié du XIXe siècle. Un même amour des beaux et rares objets, du savoir-faire, des pièces-histoires mais surtout de l’acte même de collectionner les anime. Laurence Vauclair donne carte blanche au créateur pour revisiter sa collection du 24 rue de Beaune et présenter ses pièces joaillières rassemblées sous le nom de The Collection.
Le firmament des poètes
Julien-Loïc Garin naît à Lyon en 1985. Dès son plus jeune âge, il se met à collectionner des cristaux et gemmes qui enferment dans leurs solide minéralité un monde de lumière. Les pierres sont un déclencheur d’émerveillement, sentiment témoignant d’une capacité d’ouverture au monde. Et en collectionnant pour s’émerveiller toujours d’avantage, Julien-Loïc ne cessera toute sa vie de poursuivre cette quête du beau, initiée dans l’enfance. Cette exploration du monde passe aussi par les livres. Passionné de littérature, Julien-Loïc est d’abord « un voyageur immobile[1] » et c’est dans la matière papier que ses aventures d’enfant commencent véritablement. Explorateur découvrant des grottes remplies de trésors, galant du XVIIIe, marchand sur les routes de la soie, poète-voyageur, la littérature est une source d’inspiration infinie.
Après des études de lettres, Julien-Loïc rejoint L’Institut d’Etudes Supérieures des Arts à Paris. Son master en poche, il entre à la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent. Nous sommes en 2006 et Julien-Loïc a 21 ans. Pendant deux années, il travaillera aux côtés d’Yves Saint Laurent, Pierre Bergé et Dominique Deroche au service communication de la fondation qui, à cette époque, n’a pas encore de directeur du musée ni de conservateur. Là, il collaborera à six expositions qui le marqueront à jamais. Son travail de recherche et d’inventaire des collections l’amène à découvrir les centaines de milliers de croquis, les dessins, les books et autres esquisses du couturier, qui forment alors son œil et son goût. C’est un véritable choc esthétique ; Yves Saint Laurent, maître absolu des couleurs et des matières, de la ligne et de l’élégance intemporelle, deviendra un mentor, un modèle artistique. Les bijoux chics et bohêmes de Loulou de la Falaise que Julien-Loïc découvre alors sont à l’image de l’inimitable style du couturier : libres, affranchis et eux aussi marqués par les rêves d’ailleurs et les voyages extraordinaires. Julien Loïc continue alors d’augmenter la collection de ses gemmes, inspiré par les myriades de couleurs et les inventions ardentes du couturier.
Il quitte la fondation en octobre 2007 et Pierre Bergé lui propose de devenir secrétaire général du comité Jean Cocteau. Le ciel de Julien-Loïc se sertie alors d’une seconde étoile protectrice. Il relit les textes de Cocteau, s’enivre de sa ligne libre et décomplexée et accueille dans son panthéon le prince frivole qui, comme Orphée, cherchait au-delà du miroir des apparences la vérité du monde. Jusqu’en 2011, Julien-Loïc défendra et promouvra, au sein du comité, l’œuvre de Cocteau qui, comme les diamants, est éternelle.
En 2012, à l’invitation de Gilles Bonnevialle alors Conseiller Culturel à Hong Kong, Julien Loïc devient l’explorateur qu’il a toujours rêvé d’être et part pour la ville que l’on surnomme « la perle d’Orient. » Il rejoint l’équipe du French May, le grand festival artistique annuel organisé par l’association culturelle de France et en devient le directeur général. Pendant neuf années, il fera rayonner la culture française en Asie en développant des centaines de manifestations culturelles, véritables ponts entre l’Orient et l’Occident.
Après cette merveilleuse aventure, Julien-Loïc quitte le festival en 2019 avec le désir de monter des projets indépendants. Il crée alors Le Cerlce, une plateforme de conseil et d’aide dans le développement de projets culturels, et décide de donner une chance à ses propres créations d’exister.
L’auteur-joaillier
La passion de Julien-Loïc pour la joaillerie commence dès l’enfance et c’est en Turquie alors qu’il n’a que 15 ans qu’il achète la première pierre précieuse de sa collection, un saphir enfermant dans sa matière tout le bleu des mers du Bosphore. En 2019, c’est une autre pierre qui vient changer sa vie. Un diamant jaune qui, à la différence de l’eau profonde du saphir, enferme tout l’élan des flammes multicolores et des jets de lumière du soleil. Le diamant est une pierre de feu, l’élément actif, mouvant, impatient même, par excellence. « Ses feux jaillissent (…), ils s’élancent parce qu’ils ne peuvent plus être contenus[2] » nous explique Rambosson. C’est cette pierre d’action, offerte par son compagnon comme un défi, qui fait basculer les rêves de Julien-Loïc dans la réalité. « Ça a été un des moments les plus importants de ma vie », raconte-t-il. « Avec ce diamant, j’ai pris la décision de faire ce que j’avais toujours rêvé : créer le bijou qui allait l’accueillir. C’est comme cela que cette aventure a commencé. »
Julien-Loïc rassemble alors les pierres de sa collection et décide d’écrire pour chacune d’elles une histoire ; qu’elle soit inventée ou qu’elle s’inspire d’un personnage de roman, c’est par l’écriture qu’il entre dans ce projet. Dans sa préface aux Fleurs du Mal, Théophile Gautier avait écrit : « Il y a des mots diamant, saphir, rubis, émeraude, d’autres qui luisent comme du phosphore quand on les frotte, et ce n’est pas un mince travail de les choisir[3]. » Pour composer ses histoires, Julien-Loïc choisit méticuleusement ses pierres et les travaille comme les mots d’une phrase. Chaque bijou a son identité, son nom, son caractère et à travers ses créations, Julien-Loïc se transforme en historien, en explorateur qui voyage à travers le temps et l’espace dans les palais des grands pharaons, dans le New York des années 30, les eaux grecques où se jette le roi mythique Égée ou dans la Babylone d’Ishtar. Julien-Loïc raconte la chaleur écrasante au sommet d’un temple aztèque élevé au soleil dans un grenat, le dégel de la Neva dans la Saint-Pétersbourg impériale capturé dans une pierre de lune, la pyramide du Louvre après la pluie et ses éclaboussures de diamants roses ou les splendeurs de la lumière rousse de Jaipur diffractée dans une rubellite. An Afternoon at the Ritz est une perle qui pétille comme une bulle de champagne sur l’or solaire d’un anneau et Clélia un spinelle de couleur parme monté dans un donjon d’or blanc gardé de perles. La rose noire d’un onyx enserré dans un décor miroité rappelle les buildings modernistes de Mies Van der Rohe tandis que le dessin du bijou qui l’enchâsse se rapproche plus du style de l'architecture néo-gothique d'un Chrysler building. La collection de pierres et de perles précieuses devient une collection d’histoires que l’on porte sur soi. Et les « Story-ring » naissent.
L’art du joaillier est un art de la mise en scène et le créateur travaille avec ses gemmes, ses perles et ses métaux précieux comme un metteur en scène compose avec ses comédiens et leurs différents rôles. La scène, pour Julien-Loïc, est toujours en or qu’il soit jaune, blanc ou rose ; le roi des métaux est le papier sur lequel il couche ses histoires. Et dans chaque Story-ring, pour chaque bague-personnage, Julien-Loïc va créer un élément inconnu, une surprise. Il y a le fil de l'histoire, la lecture officielle et il y a l'histoire secrète, en filigrane, qui offre un rebondissement nouveau lorsque l'on retourne le bijou. Un coup de théâtre, en sommes. Dans une pierre cachée, une « pierre-signature » - encore un lien avec l’acte d’écriture - Julien-Loïc raconte cet instant qui révèle le personnage que l'on ne considérait pas et qui, assis derrière la belle à la coupe de champagne dans le jardin du Ritz, l'observe depuis le début du chapitre. Ou encore lorsque l'on découvre que la perle cachée sur la bague "Clélia" est peut-être Fabrice, le personnage principal de La Chartreuse de Parme que Clélia aide à s'évader à l'insu de son propre père.
Des bijoux talismans
Les pierres et les perles sont le point de rencontre du Ciel et de la Terre. Le minéral comme la nacre attirent l’astral. « Les gemmes sont les étoiles de la terre et les étoiles sont les diamants du ciel[4] », nous dit Gaston Bachelard. Et il est impossible d’admirer un diamant ou les éclats d’or d’un lapis lazuli sans penser à une nuit aux constellations scintillantes. Les bijoux accueillant des pierres précieuses ou semi-précieuses sont des mondes miniatures, des synthèses cosmiques. C’est tout le pouvoir du cosmos que l’on accueille dans le creux de sa main en tenant un bijou.
Les perles ne sont pas étrangères à cette logique. « Voir un monde dans un grain de sable[5] », écrit William Blake en ouvrant Auguries of Innoncence, et l’on se souvient que c’est par l’irritation produite par un grain de sable que les perles se forment dans leurs coquilles. Elles condensent toute la force sphérique de l’univers dans leurs nacres lisses et rondes. Comme les gemmes que l’on extrait de terre ou la boue que Baudelaire transforme en or[6] ; les perles sont des trésors attendant d’être découverts, une métaphore de la vérité, de la connaissance qui doit patiemment être recherchée. Ainsi, la perle est « enceinte des cieux et ne vit que du nectar céleste[7] ». La perle est le ciel descendu sur Terre, elle est le diamant des mers. Julien-Loïc aime à la faire dialoguer avec l’or et les gemmes comme dans sa délicate bague « Japanese reef » en or gris et rose sertie d’un diamant aux couleurs des fleurs de sakura, que deux perles d’eau douce viennent embrasser.
La pierre précieuse ou semi-précieuse ainsi que les nacres irisées sont le miroir d’un monde, la surface du lac où Narcisse et tout le paysage alentour se reflètent. Le regard est le sens que séduit le plus ces merveilles que l’on souhaite monter sur des parures afin de les (re)garder. Et comme nous regardons les perles et les pierres de nos bijoux, eux aussi nous mirent en retour. Un diamant est un œil qui hypnotise. Rimbaud évoque cet échange dans un vers d’une concision et d’une poésie infinies : « ... et les pierreries regardèrent[8]. » La vision, dans tous les sens du terme, appartient aux joyaux.
C’est ce pouvoir qu’ont les pierres et les perles qui donne aux bijoux une force et les transforment en talismans. Mais attention, pour que telle bague soit une véritable promesse d’amour, pour que telle émeraude soit symbole de chance et que le bijou qui la met en scène devienne lui-même un porte-bonheur, il faut un ingrédient secret. Et c’est bien l’art du joaillier, la finesse du créateur qui, en orfèvre, vient dissimuler derrière les feux des reflets scintillants ou irisés le « mécanisme d’arcs-en-ciel » dont parle Jean Cocteau dans sa Prière mutilée[9]. Les créations de Julien-Loïc sont des talismans enfermant un pouvoir qu’il orchestre subtilement. Ils sont gardiens d’une histoire conservant les souvenirs de vies passées ou rêvées, gardiens du présent en étant de fidèles compagnons de tous les jours, gardiens de l’avenir en devenant des nœuds du destin qui enclosent une lumière protectrice.
Une histoire d’amitié
Julien-Loïc rencontre Laurence Vauclair lors de ses études à l’IESA Paris. La galeriste, amie de la directrice de l’école Françoise Schmidt, croise alors Julien-Loïc dans les salles de cours où elle intervient ponctuellement mais aussi au Carré Rive Gauche et aux Puces de Saint-Ouen où il aime se perdre pour dénicher des trésors. Lorsqu’en 2013 Julien-Loïc organise, dans le cadre du French May à Hong Kong, une grande exposition sur les arts de la table à la française, Laurence Vauclair et lui se retrouvent lorsque la galeriste vient exposer ses céramiques XVIIIe, ses barbotines et autres splendeurs de sa collection. Leurs retrouvailles sont l’occasion de rattraper le temps perdu et de se découvrir davantage. C’est le début d’une grande amitié.
Leur aventure s’ouvre aujourd’hui sur un nouveau chapitre. Julien-Loïc met cette fois en scène la collection de Laurence dans sa galerie parisienne en imaginant un jardin d’hiver orientalisant comme un pavillon sculpté dans le rêve des grandes expositions universelles du XIXe. Cette pagode-trésor enferme deux univers distincts : un monde de couleurs et d’or, une tente de maharajah sur les routes de la soie qui contraste avec la sensualité de la laque noire et brillante d’une fumerie hongkongaise XIXe. Dans ce double écrin opulent, ce paradis[10] pensé comme un voyage imaginaire, les constellations de gemmes et de perles des Story-Rings dialoguent avec le bestiaire en céramique et le mobilier du Grand Siècle. Julien Loïc et Laurence écrivent pour la première fois une page à quatre mains. C’est le temps retrouvé.
[1] Yves Saint Laurent dans La Croix du 26 janvier 2007.
[2] Jean-Pierre Rambosson, Les Pierres précieuses et les principaux Ornements, Paris, 1884.
[3] Théophile Gautier, préface aux Fleurs du mal de Charles Baudelaire, 1868.
[4] Gaston Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, 1948.
[5] William Blake, Auguries of Innocence, 1803.
[6] Charles Baudelaire, Ébauche d’un épilogue pour la deuxième édition des Fleurs du Mal, 1861.
[7] René François, Essay des Merveilles de Nature et des plus nobles Artifices, 1657. Saint Matthieu utilise une métaphore similaire dans son évangile dans lequel une perle accueille symboliquement tout le Royaume des Cieux.
[8] Arthur Rimbaud, Aube in. Les Illuminations, 1873-1875.
[9] « L’âne et le bœuf réchauffent un diamant surnaturel, Surnaturel. Regardez ! mais regardez-le ! Regardez, il éclaire la neige et les mondes, Il dissimule un mécanisme d’arcs-en-ciel. » Jean Cocteau, Prière mutilée, 1921.
[10] En grec ancien, παράδεισος (paradeisos) désignait un jardin clos où se rencontrent des animaux sauvages.