BLUE, a walk into the color

Les Art’Gentiers sont heureux de présenter leur exposition estivale 2022, « Blue, a walk into the color ». Couleur calme et spirituelle par excellence, le bleu dans cette exposition est avant tout présenté pour son pouvoir unificateur qui infuse dans son histoire, sa symbolique mais aussi sa matérialité même.

On peut considérer que le bleu s’est battu pour conquérir les cœurs puisque jadis, les Grecs de l’antiquité ne voyaient littéralement pas cette couleur[1]. De même à l’époque romaine où le bleu n’avait qu’une présence relative, voire était source de crainte[2]. C’est le XIIe siècle qui amène une véritable révolution du bleu en Occident avec le culte grandissant de la Vierge. Les étoffes bleues sont alors demandées par les rois[3] qui souhaitent se vêtir de cette même aura de pureté, avant que l’aristocratie ne suive. Rapidement, le désir du bleu gagne la société et inonde tous les arts. À la fin du Moyen Âge, la hiérarchie des couleurs qui régnait dans la pensée occidentale a complètement basculé et le bleu domine en maître. Coup de grâce au XVIe siècle, la réforme protestante vient moraliser les couleurs et le bleu, couleur dite « honnête[4] », entre dans un système de valeurs qui nous imprègne encore fortement aujourd’hui.

De couleur « invisible », le bleu devient la couleur préférée des Occidentaux et le reste aujourd’hui encore. Le consensus sur le bleu embrasse tous les âges, les sexes ou les catégories sociales. Il devient la couleur de la nation quand bien même les régimes différents se succèdent[5]. Ce bleu identitaire annule même les frontières puisque notre planète elle-même est surnommée la « planète bleue ». Bleu est la couleur qui unit les peuples et c’est donc de bleu que l’on va peindre les enseignes de tous les organismes qui ont des missions planétaires à visées pacificatrices ou d’unité[6]. Ainsi, pour les Occidentaux et particulièrement les Européens, le bleu est devenu la couleur de la paix, de l’union, de la concorde.

Le pouvoir pacificateur et unifiant de cette couleur se retrouve également dans sa matérialité. Qu’il soit utilisé en peinture, en teinture, dans le mobilier, le verre ou sur le papier le bleu est, là encore, un liant. Cette couleur accroche, attire, voilà son pouvoir propre. Elle appelle, invite, rassure, unit et déhiérarchise. Les artistes présentés dans cette exposition, qu’ils soient designers, créateurs, peintres, sculpteurs ou poètes, ont été choisi pour leur approche physique de cette couleur et leur travail avec ces notions. Alors que le sculpteur Rémi Grenouillet travaille un bleu-oxyde qui se métamorphose en réaction à son environnement, le designer Benoit Cazes va chercher les jeux de lumière que les rayons de paille de ses créations diffractent. Les peintres François Duel et Florence Vanoli vont, quant à eux, explorer les propriétés d’un bleu-signe ou d’un bleu-geste en faisant danser la couleur sur les supports, en gardant la trace de l’expressivité même du bleu, en cherchant son mouvement, sa danse, son envol. Le verrier Sofiane M’Sadek explore un bleu-souffle au travers de ses créations de verre qui vont emprisonner sa respiration dans un bouche-à-bouche avec la matière tandis que la peintre Chris Pillot travaille un bleu-sonde en captant le pouls du pigment indigo, sa vibration, qu’elle retranscrit en une cartographie pigmentaire sur ses toiles. Enfin, Rodolphe Martinez marie, par le prisme du filtre bleu, peinture et photographie.

À eux tous, ces créatifs nous font expérimenter, danser, souffler, caresser, écouter ou plonger dans le bleu. Considéré dans sa matérialité la plus simple, le bleu unit tout, toutes et tous. Plus question de couleur froide ou chaude, féminine ou masculine, aimée, honnête ou dédaignée. Dans le bleu, nous sommes tous égaux. Plus d’opposition entre peinture et mobilier, photographie ou art du verrier. Le prisme du bleu permet même l’ultime rapprochement : le mariage de l’Art avec un grand A et du Design, souvent opposés, frères ennemis qu’on ne voudrait pas mêler. Qu’il ne faudrait, en sommes, surtout pas mettre sur un pied d’égalité dans une exposition. « Blue, a walk into the color » va à l’encontre de ces oppositions et abolit les cases pour célébrer la création, l’imagination, le savoir-faire et le beau dans tous les domaines. Les Art’Gentiers se placent ainsi comme de fervents défenseurs d’un décloisonnement de la pensée en prônant l’ouverture, l’union et la paix.

[1] Le bleu ne figure ni dans les poèmes homériques où l’on qualifie par exemple la mer comme « violette », « vineuse » ou « sombre », ni dans les ouvrages du philosophe Théophraste consacrés aux plantes, aux colorants, poudres, fards, racines et essences tinctoriales.

[2] Le bleu était la couleur des peuples barbares, germaniques, aux yeux clairs et qui se peignaient de peintures de guerres bleues ou qui couvraient leurs corps de tatouages.

[3] De France, notamment. Philippe-Auguste ou encore Saint-Louis sont parmi les premiers rois à se vêtir de bleu.

[4] Voir le chapitre « Une couleur morale » in. Michel Pastoureau, Bleu. Histoire d’une couleur. Seuil, Paris, 2000.

[5] Le bleu des rois de France, le bleuet de la révolution, la partie bleue sur le drapeau tricolore qui est légèrement plus grande que les deux autres ou encore nos footballers ou rugbymen qualifiés de « bleus », nos soldats, nos policiers, nos pompiers vêtus de bleu : la couleur de la France est le bleu.

[6] L’ONU qui envoie ses casques bleus porter la paix dans le monde, l’UNESCO, le conseil de l’Europe, l’Union Européenne.

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