Guerlain Exposition Or-norme
Une exposition de la Maison Guerlain
Les Jeux Olympiques de Paris 2024 sont l’occasion exceptionnelle pour la Maison Guerlain de célébrer le métal auquel tous les participants rêveront cette année : l’or. Du 6 juin au 12 septembre 2024, l’exposition « Or-norme » propose une sélection exigeante et originale d’œuvres de dix-sept artistes valorisant la matière or au-delà du médium photographique et explorant les possibles oniriques et symboliques du métal précieux. Symbole de victoire, d’excellence et d’éternité, l’or inaltérable qui couronne les héros est intrinsèquement lié à l’histoire de la Maison.
Sous le commissariat d’Ann Caroline Prazan, Directrice Art, Culture & Patrimoine de Guerlain, Jean-Luc Monterosso, fondateur de la MEP et Directeur artistique du Contemporary Image Museum de Chengdu, et de Benoît Baume, fondateur de Fisheye, Guerlain invite dix-sept artistes reconnus mondialement ou émergents à explorer le pouvoir de l’or sur notre imaginaire collectif : Carolle Benitah, Paul Cupido, Harald Gottschalk, le duo Graphset et Amandine Besacier, Morvarid K, Yves Klein, Enzo Lefort, Cédric Matet, Pedro Motta, Isabel Muñoz, Martin Parr, Pierres et Gilles, Georges Rousse, Rodolphe von Gombergh, Wiktoria Wojciechowska et Sophie Zénon. Parmi eux, Guerlain réalise deux commandes originales : la première à la célèbre photographe espagnole Isabel Muñoz, qui réalise pour l’occasion un tirage unique sur verre et or 24 carats ; la seconde au duo Graphset et Amandine Besacier, ayant travaillé sur une œuvre hybride entre la sculpture et une expérience optique innovante faisant surgir les images animées de la matière.
D’OR SONT TISSÉS LES RÊVES…
Lorsque le fondateur de la Maison, Pierre-François-Pascal Guerlain, crée en 1853 L’Eau de Cologne Impériale à l’occasion du mariage de l’impératrice Eugénie avec Napoléon III, il imagine comme écrin pour cette eau un flacon-essaim orné d’abeilles dorées à la main et leur dédie sa création[1]. L’Eau de Cologne impériale et son Flacon aux Abeilles dorées valent à son créateur le titre de « Fournisseur officiel de la Cour impériale » et une certaine forme d’immortalité : Le flacon devient la signature de Guerlain et l’habit de lumière des créations pour cinq générations de Parfumeurs qui lui succèdent tandis que l’abeille devient le symbole solaire de l’engagement de la Maison auprès des arts, des femmes et de la préservation de la nature, Au Nom de la Beauté.
Butinant le nectar – substance divine assurant l’immortalité aux dieux –, l’abeille décante le précieux miel, cet or liquide, et incarne le symbole de la vie éternelle. Rare et inaltérable, le métal précieux par excellence est lui aussi pourvoyeur d’immortalité : il habille les idoles, couvre les pommes des Hespérides, sculpte les couronnes des rois ou les temples des pharaons, émaille les âges d’abondance, noue les vœux éternels des jeunes mariés et auréole de prestige. Tandis que l’or nimbe aussi les rêves, il reste ambiguë. En effet, il peut faire perdre la tête à ceux qui le convoitisent : l’or aveugle Midas, peint la pomme de la discorde et provoque la Guerre de Troie, appelle les dangers sur la route de la Toison, enfièvre les pirates en quête de trésors ou l’Amérique du XIXe siècle dans sa célèbre ruée. L’histoire et les légendes sont marbrées de ses zébrures de feu qui tantôt brûlent, tantôt consacrent.
Ainsi, depuis les premières traces de sa transformation entre 5000 et 3000 av. J.-C., l’or reflète les désirs les plus fous et pousse à se dépasser. Impétueux, il semble même doté d’une volonté qui lui est propre. Il est incorruptible : rien ne peut l’altérer et c’est pour cela qu’il incarne le métal le plus noble et le plus désiré. Alors, il exige qu’on le mérite. Il choisit, seul, qui il touchera de ses grâces et c’est donc à son autorité que l’on soumet les podiums et qu’on le fond pour parer les vainqueurs. L’or incarne la lumière pure, honnête, indiscutable et c’est dans sa lumineuse matière que l’histoire vient plonger sa plume. Il confère à celui qu’il élit une part d’éternité et consacre les athlètes en héros.
… ET L’INSPIRATION
L’or est un métal de concorde qui représente l’idéal de toutes les philosophies. « Nous sommes les abeilles de l’Univers. Nous butinons éperdument le miel du visible pour l’accumuler dans la grande ruche d’or de l’invisible[2] », disait le poète allemand Rainer Maria Rilke en liant l’homme, l’abeille et l’or dans une seule et même quête spirituelle. Le roi des métaux inspire les penseurs, les athlètes, les artistes et les poètes, et les pousse à se surpasser. L’or élève et incarne tous les rêves de dépassement, de transcendance et de créativité. L’exposition OR NORME vient explorer cette dialectique en invitant à plonger dans l’intarissable source d’inspiration que représente le métal précieux, les rêves et les symboliques qu’il appelle.
Pour sa participation à l’exposition, l’escrimeur professionnel, médaillé olympique et également photographe Enzo Lefort présente une photographie personnelle de sa propre médaille d’or olympique. Récompense suprême, la médaille d’or incarne le rêve d’une vie, l’excellence de la pratique de l’athlète, le dépassement, les efforts et la consécration. Avec ce simple objet, Lefort est entré dans l’histoire. Cette photographie n’est donc pas anodine puisque l’or de la médaille fixe pour l’éternité, comme un talisman, une magie qui condense les heures d’entrainement et de compétition, les sacrifices et les challenges. La photographie d’Enzo Lefort fait le lien entre le grand évènement qui va marquer Paris en 2024, la Maison Guerlain et les seize artistes présentés.
L’or pour relire notre quotidien
Le célèbre photographe britannique Martin Parr propose un tirage grand format de sa photographie Zurich, Switzerland, réalisée en 1997. Prise dans le coffre-fort d’une banque suisse, cette image représente des lingots d’or empilés les uns sur les autres. Ayant largement participé à redorer les lettres de la photographie vernaculaire, Martin Parr nous offre ici un exemple éloquent du regard oblique et cynique que son œuvre invite à prendre. L’or est ici ramené à sa valeur même : le lingot qui permet son stockage et son compte. La tension de la photographie ne se joue pas dans l’œuvre elle-même, mais dans le rapport qu’entretient l’image avec son titre. Avec une simplicité déroutante, Parr matérialise sous nos yeux un cliché (dans les deux sens du therme) : une photographie réaliste et documentaire, proche en cela de celle d’Enzo Lefort, qui provoque aussi le sourire inévitable de celui qui découvre le nom de l’œuvre. Une telle image ne peut être prise qu’au premier degré, dans un coffre-fort en Suisse. Pas de critique cependant, le photographe nous donne à voir ce que l’on veut – ce que l’on imagine d’un coffre-fort – et, par ce biais, interroge nos propres stéréotypes.
Sophie Zénon, en utilisant des rehauts de pigments or, tente d’attirer notre regard sur un élément devant lequel nous ne nous serions probablement pas arrêtés : une simple fleur dont elle vient souligner la singularité. Il s’agit en effet d’une potentille de Norvège, une plante introduite de manière fortuite en Lorraine par les troupes américaines et allemandes lors de la Première Guerre Mondiale. Sans le savoir, les soldats avaient sous leurs bottes ou dans le foin avec lequel ils nourrissaient leurs montures, des graines de potentille et ont introduit en France cette fleur qui n’y poussait jusqu’alors pas. C’est toute une relecture de l’Histoire, et la mise en lumière d’une des oubliées de ce conflit, que l’artiste nous présente. Après avoir pressé le végétal contre le papier photosensible, dans un parallèle poétique avec les bottes des soldats qui ont laissé leurs empreintes (et leurs graines) dans la terre rencontrée, la « photo-botaniste » Sophie Zénon est venue rehausser délicatement aux pigments à l’or son photogramme original. Apparaît sur le fond noir une constellation végétale marbrée de poussière d’or qui souligne la résilience et l’extraordinaire histoire d’une fleur qui a traversé l’un des plus grands conflits de notre histoire.
La photographie de Cédric Matet présentée dans OR NORME, intitulée "Les Gardiennes / Allégories méditerranéennes" s'inscrit dans une série de résidences et d'expositions réalisées par l'artiste autour du bassin méditerranéen. Sous l'objectif du photographe, des femmes, symboles des territoires photographiés se dévoilent, telles des déesses tutélaires gardiennes de l'ordre social de leurs villes dont les plans, lithographiés à l'or, viennent marbrer les compositions. Par ce travail, Cédric Matet nous invite à regarder avec bienveillance et admiration des femmes engagées essentielles à leurs communautés.
L’or pour atteindre une autre réalité
L’or est un des trois matériaux fétiches d’Yves Klein[3]. Obsédé par l’idée de « libérer la couleur de la prison de la ligne[4] », l’artiste, qui a marqué l’histoire de ses pigments bleus et or, utilise la monochromie et la couleur pure dans une quête d’infini. Klein défend l’idée selon laquelle la beauté existe partout, à l’état invisible. Le rôle de l’artiste est de nous aider à la reconnaître. Klein utilise ainsi l’or pour nous donner à voir ce que l’on ne voit plus, pour souligner le banal et le rendre extraordinaire. Le métal est apposé sur des objets du quotidien pour indiquer que chaque chose peut être source d’émerveillement. Son iconique Table d’or de 1961-1963 n’est pas, comme toute l’histoire du mobilier occidental, couverte de feuille d’or ; elle est, ici, au contraire, formée par la matérialité même du métal précieux. L’or n’habille pas, il est encadré dans le plateau de verre et de plexiglas qui lui sert d’écrin. Renversement. Et la table se transforme en porte tendant vers une autre dimension, un absolu.
Avec son œuvre Espaço confinado de 2020, le photographe brésilien Pedro Motta ouvre un pont entre nos cadres urbains bien définis et le potentiel de liberté que la nature promet. À la manière des Land Artistes[5], Motta vient ajouter à sa photographie d’un arbre Ipês – une essence brésilienne fleurissant au plus fort de la chaleur estivale –, un peu de terre prélevée à un endroit différent. L’œuvre qui en résulte est une « photo-sculpture » ouvrant quatre dimensions : la réalité matérielle de la photographie, l’image qu’elle reproduit, la terre d’un espace tiers de laquelle l’arbre semble pousser et, enfin, l’or. Couvrant les branches, la poussière et les feuilles d’or nous réapprennent à voir : ceci n’est pas un arbre, c’est une fenêtre sur un espace idéal.
L’œuvre de Paul Cupido achève de nous transporter dans une autre dimension. Le photographe part à la recherche de l’infini poésie des choses, ici une nuée d’oiseaux, et nous offre un rêve dans lequel l’éclat chaleureux de l’or vient éclabousser de lumière un envol. Comme un clin d’œil aux chronophotographies de la fin du XIXe siècle, l’œuvre de Cupido semble décomposer le mouvement d’un battement d’aile. Seulement, l’envol que l’artiste cristallise dans l’or n’existe plus, comme l’indique la notion centrale dans son travail : le principe de Mu, un concept philosophique japonais désignant l’éphémère beauté des choses. Cet envol fut, un instant, et n’existe à présent plus que dans l’œuvre présentée dans l’exposition, Yumemiru II. Le terme se traduit littéralement par "Rêver regarder" en japonais. C’est donc une science de l’émerveillement, un nouveau regard sur le monde, poétique et sensible, que Cupido nous invite à prendre. L’or vient ici déclencher une résonnance entre le monde poétique et l’éphémère beauté de la nature alentour. Il nimbe de ses vibrations solaires une fraction de seconde dans un ciel éternel.
L’or pour réparer le souvenir
George Rousse utilise lui aussi l’or pour ouvrir notre environnement immédiat à une nouvelle lecture, mais cette fois avec un tout autre but : faire remonter des limbes une mémoire oubliée. Pour cela, l’artiste crée des « peintures-espaces », in situ avec des feuilles d’or qui viennent sublimer un intérieur comme une ponctuation libérant un espace dédié au souvenir. Là encore, le vocabulaire minimaliste et conceptuel du Land Art n’est pas étranger à l’artiste qui aime investir des lieux abandonnés pour les transformer en espaces picturaux ; des œuvres éphémères dont la photographie demeure la seule trace. Shodoshima est la photographie d’une installation réalisée, à l’invitation de Isii Jun, fondateur et directeur de la Georges Gallery de Shodoshima, dans l’ancienne maison de ses grands-parents. Rousse a créé trois peintures encore aujourd’hui en place dans la maison transformée en galerie, en collaboration avec des bénévoles venus de tout le pays. Ici, le cercle d’or participe à créer un espace introspectif faisant entrer les visiteurs du site et les personnes regardant la photographie en dialogue avec la famille qui a jadis habité la demeure. Trois mondes se regardent par l’intermédiaire de ce disque éblouissant, cette pupille solaire qui nous observe comme un grand miroir jaune dressé entre les vivants et les morts.
Après l’utilisation de l’or pour réintroduire, dans un espace chargé d’histoire, la mémoire d’une famille, nous continuons notre plongée dans les méandres des souvenirs avec l’œuvre de Carolle Bénitah. La photographe utilise en effet le métal précieux pour réinventer sa propre histoire familiale. N’ayant que très peu de photographies de ses parents avant leur mariage, l’artiste s’est littéralement retrouvée « orpheline d’images. » Face à ce désert iconographique, l’artiste s’est mise à collectionner les photographies anonymes d’inconnus collectées dans des brocantes afin de se les approprier pour (re)construire un album de famille imaginaire et réparer son histoire. La feuille d’or est ici utilisée comme un pansement à l’oubli, un écran qui, appliqué sur les visages ou les silhouettes, autorise la projection des souvenirs personnels. Grâce à ces aplats dorés, l’image vernaculaire collectée change de statut : elle perd son récit premier tout en ne parvenant pas à reconstituer pleinement la narration de l’artiste. Nait alors un troisième souvenir, hybride, greffé à l’or. Comme Joseph Beuys qui utilisait l’or dans ses performances pour, à la fois guérir et convoquer ses souvenirs[6], Carolle Bénitah utilise le précieux métal pour tisser sa propre mythologie personnelle et s’inventer une vie rêvée.
L’or est le matériau privilégié pour réparer ce qui est cassé. Le kintsugi, littéralement « jointure en or » ou « réparation en or » en japonais, est l’art de recomposer des porcelaines ou céramiques brisées en utilisant de la laque déliée à la poudre d’or. Le résultat, révélant les jointures en les sublimant, raconte l’histoire d’un objet uni, brisé et recomposé à nouveau en soulignant fièrement ses cicatrices. L’artiste plasticienne et performeuse Morvarid K utilise la technique du kintsugi qu’elle transpose en photographie pour célébrer la perfection de l’imperfection et révéler le manque. Sa série Ecotone se compose de vingt-sept fragments photographiques, déchirés puis recomposés grâce à la technique ancestrale du kintsugi. Comme pour George Rousse, la photographie permet ici à l’artiste de conserver la trace d’une performance réalisée avec Yuko Kaseki et Sherwood Chen, « Cassures Sublimées », et Morvarid K évoque ce dialogue passé en cerclant d’or le témoin photographique.
L’or divin
L’œuvre de la photographe à la renommée internationale Wiktoria Wojciechowska, Marie L’Égyptienne, tisse au fil d’or la relation entre le monde végétal et l’épiphanie. Mettant au cœur de son œuvre le sens du toucher, l’artiste polonaise explore en effet, par le biais de la performance, des installations, de la photographie ou de la sculpture, la notion de trace comme la marque d’une expérience reliant le corps humain avec la nature. Appartenant à sa série « Herbarium III », l’œuvre présentée dans l’exposition superpose les traces d’impressions et de gravures : l’héliogravure sur papier d’une illustration de la sculpture romane de Marie L’Égyptienne sur laquelle l’artiste est venue graver à la pointe les rinceaux d’une plante sauvage. Ce faisant, Wojciechowska donne corps à la légende de la sainte chrétienne qui, souhaitant se soustraire à la civilisation, est partie vivre en ermite en pleine nature. Ce n’est pas la femme devenue sainte qui est peinte à l’or suite à son épiphanie, mais au contraire la plante grimpante qui sillonne son corps symbolisant la nature qui accueille cette divinisation. Renversement. Wojciechowska confond délibérément les sphères divines, mortelles et naturelles, et l’or est le vecteur de cette transcendance.
Après le lierre divinisant de Wojciechowska et le pas de côté que nous invitaient à prendre Sophie Zénon ou Pedro Motta vis-à-vis du règne végétal, l’œuvre de Harald Gottschalk vient sacraliser une branche d’arbre comme les moines du moyen-âge peignaient leurs icones. Le sujet d’une transcendance divine n'est plus ici un homme ou une femme devenu.e saint.e, mais une branche de platane bourgeonnant qui se découpe en contre-jour devant un fond or. Une simple branche, devant laquelle nous serions, encore une fois, passés sans y prêter attention, devient ici le sujet d’une révélation. Brouillant les codes entre la peinture sacrée, la photographie et l’herbier, l’artiste, en réalisant un habile tirage argentique sur feuille d’or, consacre pour l’éternité la promesse fugace du printemps. C’est tout le miracle de la nature, sa délicatesse, sa force et sa poésie que Gottschalk célèbre avec son Arbre II, un hymne qui n’est pas sans rappeler l’image universelle de l’arbre de vie.
Sortons de la sphère végétale à présent pour rejoindre l’océan primordial. Dans sa série océanographique, la célèbre photographe ibérique Isabel Muñoz continue son étude du genre humain couplée à des techniques de tirages innovantes. Pour sa participation à l’exposition, Muñoz présente un tirage en or 24k sur plaque de verre représentant le corps de la plongeuse libre Ai Futaki, pris sous l’eau. Son œuvre résonne avec les canons antique et l’esthétique du fragment. Le corps élancé et sous-marin de Futaki, sublimé par le grain de l’or, reprend également ici une pose bien connue de l’histoire de l’art, celle de La Grande Odalisque d’Ingres ou de la Vénus à son miroir de Vélasquez. La photographe renouvelle ces thèmes en nous laissant le choix de l’interprétation. Et la plongeuse immortalisée par Muñoz prend des airs de déesse née de l’écume, de marbre antique découvert dans les ruines sous-marine d’un palais submergé, de sirène sortant la tête de l’eau ou de courtisane étendue sur un parterre d’or et de coraux. Le tirage sur or qu’elle a réalisé pour l’exposition est une commande spéciale de la Maison Guerlain.
Le duo Pierre et Gilles a l’habitude de côtoyer les dieux, les déesses et autres figures mythologiques. Reconnus mondialement pour leurs œuvres à quatre mains, Pierre et Gilles mettent en scène leurs proches transformés en princes, dieux, nymphes ou autres héros dans des « tableaux-photographiques ». Le duo a construit depuis la fin des années 1970 un répertoire iconographique dense comme une deuxième histoire de l’art, queer, celle-là, érotique, populaire et résolument kitsch, pied de nez à la « grande histoire » dominante. La mort d’Abel reprend, comme pour l’œuvre d’Isabel Muñoz, un thème célèbre de l’histoire de l’art : un épisode biblique qui oppose les frères Caïn et Abel. C’est à l’invitation du Musée d’Orsay à créer une pièce inspirée par la sculpture réalisée par Vincent Feugère des Forts que le duo a réalisé l’œuvre présentée dans cette exposition. Reprenant les codes de cette scène légendaire, Pierre et Gilles appuient sur la sensualité du jeune homme alangui en faisant poser un éphèbe étendu sur une colline de gazon vert et de pâquerettes, entouré d’animaux aux pelages immaculés et de buis taillés tandis que du ciel bleu cascadent les rayons dorés du soleil. Mais le détournement ne s’arrête pas là : le duo dévoile subtilement la toison pubienne du modèle afin que l’homoérotisme de la scène ne laisse plus de place au doute et vient orner l’œuvre d’un cadre flamboyant, en forme de temple antique, couvert de paillettes dorées.
L’or pour nous aider à réaliser l’impossible
Radiologue et photographe, Rodolphe Von Gombergh utilise les techniques de l’imagerie médicale de pointe pour développer un univers dont le principe central repose sur la transparence. Von Gombergh utilise en effet ses connaissances anatomiques et son expérience avec la radiologie médicale pour inventer le concept de « Virtual Life Art » selon lequel toute vie est une superposition de transparences, créant de nouvelles dimensions. Explorateur du corps humain, le radiologue-photographe ne se limite pas seulement à l’homme, il observe avec ses scanners et autres machines d’imagerie des plantes, des animaux, des statues ou encore, des livres. L’œuvre présentée dans cette exposition est un plongeon au cœur d’un texte, dans l’or atomique des particules élémentaires contenues dans l’encre avec laquelle il a été écrit. C’est le jeu des poupées russes, en somme, puisque l’imagerie virtuelle de Von Gombergh nous permet de nous engouffrer dans l’essence tant physique qu’imaginaire d’un sûtra rédigée en lettres d’or et retrouvée à l’intérieur d’un Bouddha du quatorzième siècle. Au-delà de l’image, l’or nous permet ici de dépasser le mur du réel pour entrer, littéralement, dans un texte. C’est la rencontre du microscopique (les particules d’or contenues dans l’encre) et du macroscopique (le texte et ses significations spirituelles et philosophique) que nous propose l’œuvre vidéo de l’artiste.
Le duo Graphset et Amandine Besacier s’intéresse lui aussi aux propriétés physiques de l’or et à ses potentiels cachés. Leur pratique, nourrie par leurs parcours aussi pointus que complémentaires, vient repousser les limites du médium photographique et vidéo[7]. Pour cette seconde collaboration, ces deux grands techniciens de l’image et véritables alchimistes créent une œuvre originale à la technologie innovante, enrichissant la définition communément admise de la photographie en proposant, plus qu’une relecture du médium lui-même, un dépassement technologique à l’heure du numérique. Machine et image ne font plus qu’une et les vidéos ultra ralenties de modèles pris dans une fumée épaisse semblent émerger en transparence de la feuille de cristaux liquide d’un écran de téléphone, placé comme un calque devant un support-écrin en métal doré. À la fois sculpture, œuvre vidéographique, écran détourné et pièce joaillière, l’œuvre joue sur notre confusion à appréhender tant l’objet que les mirages qu’il produit : depuis les brumes dorées de la matière font surface des images évanescentes qui se soustraient, rapidement à notre vue dans la lumière enveloppante d’une golden hour hollywoodienne.
Tour à tour, les artistes d’OR NORME nous montrent que l’or, loin d’être un simple matériau, est une source infinie d’inspiration et le médium privilégié pour nous aider à relire notre quotidien, atteindre d’autres réalités, panser (et penser) nos blessures, réparer le manque et le souvenir, tutoyer le divin et réaliser l’impossible, tant dans les sphères techniques que sportives, artistiques ou spirituelles. Ces artistes nous racontent donc que l’or, bien plus qu’un matériau, est aussi le vecteur universel d’un dépassement, un lien qui désintègre les frontières, les cases, les normes.
L’ENGAGEMENT DE GUERLAIN
Depuis sa création en 1828, Guerlain n’a eu de cesse de faire briller dans le monde entier les valeurs qui lui sont chères en écho avec les mouvances artistiques, l’évolution des droits des femmes et les avancées environnementales de son époque.
Un engagement pour les arts
En collaborant avec les meilleurs artisans, maîtres d’art et artistes, Guerlain a, dès son origine, montré qu’excellence et savoir-faire riment avec audace et créativité. La réalisation du Flacon aux abeilles est confiée, dès 1853, aux verreries Pochet du Courval pour leur savoir-faire transmis de génération en génération depuis plus de quatre cents ans. Au fil du temps et des projets, Guerlain a eu à cœur de renforcer cette relation tout en en nouant de nouvelles, avec des maîtres d’art et artistes, pour des éditions d’exception. Comme l’abeille d’or, symbole d’immortalité, le flacon s’est métamorphosé au gré des rencontres en faisant de sa réinterprétation un exercice de style encouragé par la Maison.
Ainsi, en 2013, neuf maîtres d’art[8] se sont approprié le Flacon aux abeilles en le métamorphosant en œuvres uniques, vendues au profit du programme de transmission des savoir-faire de l’Institut national des Métiers d’art. En 2016, Guerlain confie à l’artiste graffeur JonOne le mythique flacon avant de collaborer, en 2019, avec le peintre et calligraphe Tarek Benaoum. En 2020, c’est l’œuvre de l’artiste Claudine Drai qui inspire un écrin immaculé pour L’Heure Blanche tandis que L’Eau de Cédrat s’habille des compositions délicates de la doreuse Anne Brun. L’année suivante, c’est avec la jeune créatrice de bijoux Begüm Khan et le couturier Kévin Germanier que Guerlain collabore pour la création d’éditions-joaillières limitées. En 2022, l’artiste Tomáš Libertíny dépose le flacon dans une ruche et laisse de véritables abeilles faire leur œuvre. Le Flacon aux abeilles, cerclé de rayons de cire et de miel, devient lui-même ruche dans une transformation qui illustre le thème d’une renaissance perpétuelle, faisant écho à la symbolique de ce prodige de la nature et au flacon lui-même. En 2023, Guerlain a continué ses métamorphoses artistiques en confiant le flacon à Maison Matisse[9] et à l’artiste coréen Lee Ufan.
La Maison s’associe également avec la fondation Lee Ufan Arles afin de crée le Prix Art & Environnement, récompensant chaque année, par une résidence et une exposition, un projet mettant au cœur de ses préoccupations les rapports féconds et multiples entre la création artistique et l’environnement. Lee Ufan Arles et Guerlain sont heureuses d’annoncer l’exposition du lauréat de la première édition du Prix Art et Environnement, Djabril Boukhenaïssi. « A ténèbres » sera présentée dans l’espace MA de la fondation arlésienne du 1er juillet au 1er septembre 2024.
Guerlain et le sport
Cette année, la tenue des Jeux Olympiques à Paris est pour Guerlain l’occasion de célébrer la fraternité et l’inspiration qui ont éclairé et nourrit la Maison pendant près de deux siècles.
Dès le début de son histoire, la Maison Guerlain défend les valeurs sportives et les activités en plein air. Guerlain excelle notamment dans le sport hippique grâce à la passion d’Aimé Guerlain pour l’équitation et son écurie de chevaux de course. La famille devient une figure majeure du sport hippique au début du XXe siècles grâce au haras de Montaigu qu’achète Gabriel Guerlain en 1904 et qui entraine de prestigieux chevaux de course, très souvent récompensés. Cet amour des chevaux et des compétitions sportives est tel que le cheval devient le symbole de Guerlain et le logo de la Maison. Héritier de cette passion, l’arrière-petit-fils de Gabriel, Jean-Paul Guerlain, crée en 1963, Habit Rouge, un parfum hommage devenu iconique retranscrivant l’odeur puissante et noble de l’animal mêlée aux effluves de cuir des harnachements.
Mais la passion de Guerlain pour les sports ne s’arrête pas à l’équitation. Pour les Jeux Olympiques d’hiver de 1968, la Maison soutient fermement Grenoble dans sa candidature pour recevoir les compétitions et accompagne les Jeux en développant pour la première fois une communication célébrant l’évènement. Tout au long du XXe siècle, Guerlain continuera de soutenir les sports et les activités en plein air en créant des produits d’exception tels que des baumes à lèvres résistants, des huiles de protection contre les rayons du soleil ou pour bronzer, du « maquillage de sport », des crèmes de sport ou « ultra-sport » ou encore des versions « sport », plus légères, de ses célèbres parfums. Enfin, une fragrance de Guerlain incarne à la perfection cet amour du sport : Vétiver. Les notes hespéridées, aromatiques et résolument fraiches de ce parfum devenu un grand classique de la Maison ont amené à développer une communication dédiée liée aux activités sportives. « Gagner en Vétiver » illumine les publicités qui ouvrent dès lors la Maison à de nouvelles sphères : le golf, la voile, le tennis ou le tir à l’arc.
Enfin, la passion de Guerlain pour le sport est aussi un moyen pour la Maison de défendre les valeurs qui lui sont chères et fondamentales dans son développement. En soutenant et valorisant l’activité sportive des femmes, Guerlain montre tôt que le sport est un vecteur d’émancipation et d’égalité, et qu’il se doit d’inspirer notre société. Le libre accès des femmes aux activités sportives, leur participation et leur visibilité sont autant d’enjeux permettant une affirmation de leurs droits, la lutte contre les stéréotypes et les violences ainsi que la valorisation des bénéfices de la mixité.
Pour célébrer les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, l’exposition OR NORME vient réaffirmer le lien de la Maison Guerlain avec le sport en célébrant la quête d’excellence, l’adelphité et l’égalité. Trois notions précieuses que le roi des métaux incarne de sa lumière solaire et inspirante.
LE 68, CHAMPS-ÉLYSÉES
Depuis plus d’un siècle, le cœur battant de la Maison Guerlain est une véritable ruche dédiée à la création et à la beauté.
Dans l’espace d’exposition du 68, Champs-Élysées, Guerlain invite le public à se laisser surprendre. Avant-gardiste, la Maison n’a eu de cesse de se réinventer pour être une pionnière dans son soutien aux arts et à la culture. Le vaste espace d’exposition de la Maison, véritable fenêtre sur le monde, lui permet ainsi de présenter les travaux d’artistes émergents comme confirmés dont les pratiques résonnent avec ses propres engagements :
« Notre espace sur les Champs-Élysées est un phare en plein cœur de Paris où la Beauté et la Culture se rencontrent pour venir éclairer le monde de leurs rayons en mettant en lumière les engagements de la Maison envers les femmes, les arts et la protection de l’environnement. »
Ann Caroline Prazan, Directrice Art, Culture & Patrimoine de Guerlain
Benjamin Carteret
[1] En effet, ce prodige de la nature est un des symboles impériaux depuis que de petites abeilles d’or ont été retrouvées deux cents ans plus tôt dans le tombeau de Childéric Ier, fondateur de la dynastie mérovingienne. Lorsque Napoléon Ier accède au pouvoir, il remplace la fleur de lys par l’abeille pourvoyeuse d’immortalité. Il fait alors broder des abeilles au fil d’or sur le manteau de pourpre qu'il porte à son couronnement et en couvre le blason impérial avant de décréter que les grands dignitaires de l'Empire fassent frapper leurs écus d’or du même symbole.
[2] Rainer Maria Rilke dans sa lettre du 13 novembre 1925 à Witold von Hulewicz, le traducteur polonais de ses Élégies.
[3] Avec son emblématique International Klein Blue (IKB) et le pigment rose pur.
[4] L’éternel combat du dessin et de la couleur, que Matisse avait aboli avec ses papiers découpés.
[5] Le Land Art ou Earth Art est un est courant artistique né aux États Unis vers la fin des années 1960. Critiquant ouvertement « la touche » et le « génie » de l’artiste, ainsi que son aliénation dans une société toujours plus coupée du monde naturel, les artistes du Land Art multiplièrent les œuvres nécessitant le déplacement hors de ces espaces urbains, le concours d’ingénieurs et d’architectes, et l’utilisation de matériaux jugés non nobles (béton, sable, herbe, eau, terre, etc.). Cependant, et paradoxalement, afin d’exposer et de vendre leurs travaux, les Land Artistes se sont parallèlement mis à utiliser des outils de documentations tels que des plans, relevés topographiques, photographies, prélèvements sur sites, etc. Robert Smithson a ainsi divisé son travail entre sites et non sites : les œuvres in situ et les archives documentaires de ses travaux pouvant être exposées afin d’en rendre compte.
[6] Joseph Beuys, Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort (Wie man dem toten Hasen die Bilder erklärt), 1965.
[7] Tandis que Graphset multiplie les domaines d’investigation plastiques, de l’impression 3D à l’animation expérimentale en passant par la sculpture électronique, Amandine Besacier est une photographe adepte du travail à la chambre, du film argentique négatif, positif et de l’instantané Polaroid.
[8] Nelly Saunier, Lison de Caunes, Fabrice et Baptiste Gohard, Sylvie Deschamps, Ludwig Vogelgesang, Etienne Rayssac, Laurent Nogues, Serge Amoruso et Emmanuel Barrois.
[9] Fondée par Jean-Matthieu Matisse, l’un des arrière-petits-fils du peintre, dans le but de continuer à faire rayonner l’héritage du peintre.