Malaika Temba

Les feux du mont Kilimandjaro

 

Traduction du texte de Natasha Boas et entretien avec l’artiste

Pour la galerie Lilia ben Salah

 

lilia ben salah est heureuse de présenter la première exposition personnelle de l’artiste tanzano-américaine Malaika Temba : « Les feux du mont Kilimandjaro », du 27 mars au 20 mai 2023.

Malaika Temba incarne l’ADN même de la galerie lilia ben salah, dont la ligne principale est de soutenir la voix des femmes artistes et de ces expressions libres et sans concessions qui participent à l’hybridation culturelle, puisque son travail est profondément marqué par la globalité[1]. Comme le dit l’artiste : «Je ressens une affluence de perspectives culturelles diverses en moi et utilise différentes lentilles pour les révéler dans mon quotidien en fonction de mes projets.» C’est exactement ce à quoi Lilia Ben Salah œuvre avec sa galerie : convoquer, réunir et célébrer différents partis pris et points de vue, au cœur de Paris.

Malaika Temba s’est formée au travail du textile à la Rhode Island School of Design. Jouant de l’équilibre entre l’artisanat et les beaux-arts, son travail, qui prend racine dans le tissage en chaîne et en trame, dépasse les techniques traditionnelles en y mêlant le tissage digital qu’elle pratique dans le but de restaurer l’Histoire et de transmettre du sens. En plus du tissage et de la sérigraphie sur textile, Temba embrasse diverses techniques telles que la couture ou le feutrage, traditionnellement reléguées à un « artisanat féminin », qu’elle enrichit grâce à sa pratique de la peinture, de la photographie, de l’estampage, du pochoir ou du dessin. Ces techniques mixtes permettent à Malaika Temba de créer les trames d’une histoire plurielle explorant les dures conséquences des politiques sur nos réalités contemporaines en questionnant l’identité, le genre et notre rapport à l’environnement.

Élevée par des parents tanzaniens et américains entre l’Afrique du Sud, l’Arabie saoudite, l’Ouganda, les États-Unis et le Maroc, Malaika Temba s’inspire de cette diversité culturelle pour nourrir les motifs, les textures et les couleurs vibrantes qui composent ses œuvres-trames. Comme le traditionnel tissu Kanga de Tanzanie – couvert de motifs abstraits et d’écritures –, les œuvres de Temba sont incrustées de multiples signifiants. « Mon travail incarne le paradoxe de ces textiles : doux et ornés mais résistants et indéchirables. Je veux faire honneur aux travailleurs, aux soignants, aux tantes[2]et aux femmes de la diaspora », explique l’artiste.

Dans sa nouvelle série d’œuvres réalisées entre 2022 et 2023, intitulée « Les feux du Mont Kilimandjaro », Malaika Temba présente des grands formats aux techniques mixtes créés en mêlant des dessins ou des photographies avec des textiles réalisés grâce à des techniques de tissage artisanales et digitales. Ces œuvres racontent des scènes du quotidien dans le village de Kishumundu où sa famille habite, sur le mont Kilimandjaro, et dans la ville de Moshi, au pied de la montagne. Le légendaire volcan en sommeil, point de repère géographique, est la plus grande montagne d’Afrique et l’un des sommets les plus hauts du monde. À l’automne 2022, des incendies catastrophiques ont menacé son écosystème à la riche biodiversité et amené les experts à mettre en garde la communauté internationale sur la survie de son glacier, l’un des derniers du continent, dont l’espérance de vie pourrait ne pas excéder 30 ans.

La réponse de Temba à ces feux dévastateurs a été de documenter la vie quotidienne qui a continué à se dérouler de la base jusqu’au mont du Kilimandjaro, avec sa succession de faits ordinaires, tandis que les incendies ravageaient ses flancs et sommets. Les images de sa tante occupée à des tâches quotidiennes, superposées sur des étoffes Jacquard (Where I Leave You[3], 2023), celles du salon de beauté du quartier (Beauty Salon[4], 2022) ou du marché (Marketi, 2023) sont enrichies de panneaux publicitaires fictionnels et d’images de scènes de la vie agricole locale prenant place dans les zones affectées par les feux et de graves sécheresses. « Les conséquences du changement climatique sur les femmes en Afrique de l’est sont particulièrement sévères puisqu’elles portent souvent un fardeau disproportionné par rapport aux hommes en étant les premières pourvoyeuses de soins, d’eau et de nourritures de leurs familles », commente Temba.

Alors qu’elle se trouvait à Moshi après les incendies, Temba a pu explorer plus largement le travail de la fibre en apprenant l’art de la fabrication du papier. Elle a ainsi pu obtenir, avec la pulpe des ficus exasperata (msasa ou arbres à papier de verre), et en utilisant des écorces recyclées, traitées et séchées au soleil, de nouveaux tissages expérimentaux mêlant textiles et papiers. L’arbre indigène msasa est une source de fibres, de tanins, de biocarburant, de bois et même de remèdes qui est vitale pour les habitants de ces régions, mais qui est menacée d’extinction à cause du réchauffement climatique. La série d’œuvres de petit format en tissages de laine et de fils réalisées sur des métiers à tisser traditionnels Macomber, cousues sur du papier artisanal et intitulées « Fragments 1-19 », rappelle les expérimentations textiles d’Anni Albers au milieu du XXe siècle au Mexique. Cette série souligne l’engagement de l’artiste pour un écoféminisme intersectionnel, marqué par une préoccupation accrue pour l’égalité de genre, les disparités économiques et la préservation de la vie sur Terre.

 

Natasha Boas Ph.D

International Curator

San Francisco-New York-Paris

 

Traduit de l’anglais par Benjamin Carteret


[1] Terme désignant l’aspect final du processus de globalisation : une condition encore hypothétique dans laquelle les frontières (qu’elles soient culturelles, économiques, symboliques ou réelles) n’existent plus.

[2] « Aunties » dans la version originale du texte. Les « aunties » sont des figures féminines centrales des communautés tanzaniennes qui n’ont pas d’équivalent en France ou aux États-Unis.

[3] Où je te laisse.

[4] Salon de beauté.

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