MYDRIAZ

Portrait suivi du CP pour AURORE 584

Paris Design Week 2023

Mydriaz est un duo de créateurs formé de Jennifer Midoz et de Malo du Bouëtiez dont les œuvres participent à construire un univers intemporel et immersif, dans lequel la notion de perception est centrale. Un objet n’est pas un ilot isolé de son environnement, au contraire, sa force se déploie dans la gamme de réactions lumineuses, sensorielles et physiques qu’il provoque. Mydriaz explore cette dynamique réactionnelle en recherchant avant tout à créer des expériences sensitives uniques. Leur studio, situé sous le viaduc des arts, est un véritable laboratoire expérimental dans lequel les œuvres, de la conception aux finitions en passant par le développement et la production, sont réalisées à la main.


Perception

La perception se définit comme étant l'activité cérébrale résultant de la prise de conscience, par un sujet, d'objets et de propriétés présents dans son environnement grâce aux informations que lui délivrent ses sens[1]. Cette notion[2] implique la rencontre de trois éléments : un objet dans un espace, le sens qui permet d’en faire l’expérience et l’esprit qui va construire l’image mentale née de cette rencontre. Les créations de Mydriaz jouent sur ces trois aspects et le nom-même du duo intègre cette dynamique triangulaire : la mydriase est le phénomène d’élargissement de la pupille en réaction à une variation de luminosité ou au surgissement du plaisir. La relation phénoménologique de l’objet avec le sujet et son environnement, l’écoute des matériaux et le jeu avec leurs potentiels inhérents, provoquent chez l’être humain des émotions réelles. Jennifer Midoz et Malo du Bouëtiez créent des organismes intégrés, sur mesure, qui dialoguent avec cet environnement et ceux qui le perçoivent. La force des créations de Mydriaz est qu’elles cristallisent toutes, dans leur unicité, une identité commune et un puissant potentiel d’évocation, comme les artefacts d’une autre culture qui, sortis de leurs lieux d’origine, déploient tout un univers à notre esprit, d’un simple regard.

Genèse

Jennifer Midoz et Malo du Bouëtiez sont respectivement diplômés de l’École Boulle et de l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris. Tous deux passionnés par le travail des métaux non ferreux – le laiton notamment –, ils se rencontrent lors d’une mission de soclage au Musée d’histoire naturelle, autour d’un crocodile préhistorique[3]. C’est donc dans le temple de l’étude scientifique du monde naturel et de ses intéractions avec l’homme que les deux créateurs se trouvent. Et ce n’est pas un hasard. C’est leur regard sur le monde et leur approche expérimentale de la matière qui les lient d’emblée.

Jennifer est alors tournée vers l’orfèvrerie et rêve de développer des pièces qui conserveraient toute l’attention et la délicatesse que cet art requiert, tout en changeant d’échelle. Malo, quant à lui, devenu professeur de peinture après les Beaux-arts puis graphiste freelance, artisan bronzier et enfin socleur en muséographie, souhaite développer ses propres créations. Tous deux décident de se rapprocher afin que la pratique de l’un nourrisse l’autre et d’associer leurs forces. En 2011, ils louent un atelier en commun et mutualisent leurs projets. Mydriaz était né.

À la création de Mydriaz, Jennifer et Malo commencent d’abord par réaliser, chacun de son côté, ses propres œuvres. C’est au moment de la création-conception que le duo dialogue avant de développer indépendamment les pièces : comme un cerveau à quatre mains, l’idée est mutualisée puis les essais techniques portés par l’un tandis que l’autre travaille sur la réalisation. Peu à peu, ils se rencontrent dans certains objets et développent, au fil du temps, un langage commun.

Si l’un apporte une rigueur technique à l’atelier, ou un savoir, l’autre vient, dès les premières réalisations, déstructurer ce savoir pour l’emmener plus loin. Les deux créateurs se répondent en s’affranchissant et s’émancipant peu à peu des techniques. Le laiton, structurellement très résistant, leur permet de créer des objets imposants comme des œuvres d’une grande légèreté. Il possède aussi une grande variété de finitions et autorise des jeux de couleurs, de textures et d’aspects de surface infinis.


Expérimentations alchimiques

À l’origine de Mydriaz, il y a un désir commun de créer des objets sortant des cadres de l’art et de l’artisanat. La démarche du duo embrasse un vaste spectre qui prend racine dans ces domaines en faisant fi des étiquettes. Jennifer et Malo travaillent d’abord exclusivement le laiton et fusionnent leurs savoir-faire pour explorer les finitions infinies que ce matériau autorise. Guidés par l’instinct, les deux créateurs testent et expérimentent alors les propriétés du métal qu’ils viennent déformer, assembler, polir, analyser et éprouver sous toutes les coutures. Dès les premiers temps, la notion de perception fait surface et le duo travaillent les capacités réflectives et sensitives qui sont inhérentes au laiton ainsi que son potentiel narratif.

Leur atelier, occupant deux arches du viaduc des arts, est entièrement ouvert sur l’extérieur, L’aspect collaboratif du travail de Mydriaz rappelle également la démarche scientifique. Le rapprochement de Jennifer et Malo, leur dialogue perpétuel avec le laiton et leurs désirs d’ouvrir l’atelier à d’autre savoir-faire les a amené à échanger et collaborer avec d’autres spécialistes : céramistes, verriers, marqueteurs de paille ou créateurs textile. Au fil du temps, l’atelier est devenu un véritable laboratoire où, au-delà des frontières disciplinaires, on travaille dans l’émulation collective et dans le dialogue des matières.

Comme dans tout processus expérimental, l’accident est inévitable. Jennifer et Malo intègrent cette notion dans leur processus de travail dès la création de Mydriaz et décident même de jouer avec. C’est à cause d’une déformation prolongée d’une plaque de laiton que la pièce Mercure est née et que la série d’œuvres pétales comme Loïe ou Brumes ont pu voir le jour à sa suite. L’accident est une percée créative qui ouvre de nouvelles perspectives.

Versés dans l’art de la transmutation et des métamorphoses, Jennifer et Malo, en véritables alchimistes, s’amusent à cristalliser les liquides, figer le feu, faire miroiter les nuages ou briller les corolles des fleurs. Les contradictions ne font pas peur au duo qui combattent les attentes froides et rigides du métal, de la pierre ou du verre en cherchant leurs aspects fluides, doux et sensuels. « Souvent on dit que le métal est une matière morte, annonce Jennifer. C’est tout le contraire, il faut apprendre à l’écouter et à jouer avec les atomes à chaud pour que la déformation à la flamme fasse danser la matière. »

Nature

Rapidement, le duo s’ouvre à de nouvelles pratiques et se met à dialoguer avec d’autres matériaux en gardant comme cap un simple mot : oser. L’observation de la nature reste au cœur des préoccupation de Mydriaz qui, en invitant progressivement dans l’atelier le verre, la céramique ou le textile, va se mettre à développer des luminaires décoratifs sur mesure, des installations monumentales et des pièces de mobilier s’inspirant des courbes organiques des végétaux ainsi que des phénomènes atmosphériques.

« Va prendre tes leçons dans la nature, c'est là qu'est notre futur. » Telle était la devise de Léonard de Vinci qui, déjà au XVe siècle, rendait poreuses les frontières entre les sciences, l’ingénierie et les arts. Mydriaz continue cette approche libre et analytique de la nature et développe tôt des pièces aux formes organiques, végétales, minérales et hybrides. C’est encore une fois avec un accident que tout commence : une pale de la bonne épaisseur, chauffée à la bonne température, se transforme en pétale de fleur aux ondulations aléatoires et légères. Et à Mydriaz de développer un véritable herbier de luminaires : Orchidée, Dahlia, Jasmin, Muguet, Glaïeul, Branches ou Corolle. Chaque pièce est une célébration du monde végétal dont le duo inverse les dynamiques naturelles : ce n’est plus la lumière qui permet à la plante de grandir par la photosynthèse, c’est le végétal sculpté dans leur atelier qui libère la lumière de l’intérieur.

Le mouvement est également une grande source d’inspiration pour les créateurs. Les séries des suspensions Loïe et Envolée viennent gonfler les feuilles de laiton poli qui, avec la légèreté et la finesse d’un voile porté par la brise, dansent au-dessus de nos têtes. Mydriaz enlève son poids à la matière pour la faire s’envoler. Ces pièces en apesanteur sont un hommage à la célèbre danse aérienne de Loïe Fuller qui, au XIXe siècle, révolutionna cet art avec ses mouvements libres tout en voiles colorés.

Mydriaz développe enfin un vif intérêt pour les phénomènes atmosphériques et le cosmos, ainsi que les sensations que leur observation provoque. Le guéridon Éclipse joue sur la superposition de ses astres de marbres et de laiton grâce au faisceau de ses pieds traversants. L’éclipse apparaît en fonction de la position du regardeur : le laiton radial verni recouvre partiellement le marbre vert d’Alpi qui orbite, lui-même, devant le marbre blanc de Carrare. Les suspensions Brumes, toute en ondulation veloutée, rappellent ce phénomène et son traitement dans la peinture traditionnelle japonaise, tant dans ses courbes que dans les matériaux opalescents dans lesquels elles sont sculptées. La suspension Foudre vient, au contraire, dessiner dans le ciel d’un intérieur l’imprévisibilité d’un éclair d’or, tout en angles et en cassures alors que la série des Liquides s’inspire des ondes d’un miroir d’eau dont Mydriaz reproduit l’aspect clapotant en laiton ou en céramique émaillée. Cet aspect signature, les créateurs viennent en couvrir, comme un voile de magma, tables, pieds de mobiliers ou appliques murales. On retrouve également ce motif dans le tapis du même nom, figeant dans ses vagues de laine et de soie les reflets d’un ciel nocturne. De même, le tapis Soleil levant, miroite, sur le sol et dans le tissu, les délicates variations colorées d’un ciel observé à l’aube. C’est encore dans le ciel, et plus précisément le ciel obscure, l’espace sertie de constellations, que les appliques et fauteuil Mercure, Saturne, Céleste, Cosmos, Envolée astrale et Lunaire trouvent leur origine. Comme si Mydriaz nous faisait passer de l’autre côté du miroir en cristallisant, dans le laiton, la céramique ou le verre, l’impalpable et stellaire beauté de notre univers.


Gourmandises

Percevoir implique d’éprouver une sensation quasiment instantanément après avoir observé un phénomène. Le duo travaille sur cette notion, et notamment celle du plaisir qui participe, elle aussi, à la mydriase. Jennifer et Malo aiment à provoquer cet état de contentement qui crée la satisfaction chez le spectateur en jouant à la fois sur nos souvenirs d’enfants et le sens de la gourmandise. Leurs pièces, généreuses et alléchantes, rappellent à nos mémoires les plaisirs sucrés d’un Cannelé recouvert d’une Envolée caramel, le croquant de la meringue du Merveilleux, l’onctuosité d’une glace italienneGelato ou la douceur poudrée et ovale d’un biscuit Boudoir. Mydriaz façonnent dans le verre, le laiton et la céramique des pâtisseries que l’on ne peut pas déguster mais qui sont éternelles.

 

Géométries lumineuses

Comme la mydriase[4] qui provoque la dilatation de la pupille par contraction de l’iris sur-ou sous-exposé à la luminosité, le duo de créateurs excelle dans l’art de sculpter la lumière. Qu’elle soit diffusée, diffractée, déviée, miroitée ou reflétée, la lumière est utilisée comme un matériau à part entière. Ainsi, les Cubes de Mydriaz viennent piéger la lumière dans un labyrinthe de reflets qui prolonge les lignes, brise les faisceaux et ouvre les perspectives. Les rayons qui s’échappent des pièces viennent tramer sur les surfaces environnantes des dédales de lumières, comme des grilles lumineuses à la pureté mathématique. De même, les suspensions Prismes n’imitent pas le phénomène de diffraction, elles le provoquent, littéralement, en jouant avec l’éclat du laiton poli que les facettes de miroir d’or découpées en diamant se renvoient en ricochant. La pièce Masque, bien que minimale et formée de seulement deux feuilles de laiton poli assemblées, apparaît comme une congère de cristaux déstructurée collectée sur une autre planète. C’est de la géométrie pure et les formes découpées, ainsi que leurs reflets, s’interpénètrent pour créer un faisceau appréhendable dans son entièreté qu’en mettant sur le même plan toutes les composantes de l’équation : matière, reflet et lumière.

 

AURORE 584
Une immersion cinématographique pour la Paris Design Week 2023

À l’automne 2023, Mydriaz présente ses dernières créations à la Paris Design Week dans une scénographie inédite : AURORE 584. Cet évènement est l’occasion pour le duo de créateurs de déployer toutes les nuances de leur univers afin de présenter au public leur transversalité et leur signature.

Pour la Paris Design Week, Mydriaz scénarise un univers dans lequel le sujet est immergé à l’instant où il franchit le halo lumineux qui émane des pièces. Le dispositif plonge le visiteur dans un monde où règne une lumière jaune apocalyptique. Les murs, recouverts de parois métalliques réfléchissantes, décuplent les silhouettes à l’infini comme dans un labyrinthe de cristal. Les mouvements sont amplifiés et se répercutent en ricochet dans le mobilier et le décor, baignant dans une brume ambrée. Nous venons de nous poser sur une planète inconnue au soleil de soufre, et notre regard, qu’il soit physique (reflets, diffractions) ou mental (lecture), devient double. C’est un espace immersif à l’atmosphère de fin du monde dans lequel Mydriaz nous invite. Nous sommes arrivés sur mars dans notre capsule de laiton doré et la lumière safranée de la planète rouge pénètre dans notre vaisseau dès notre atterrissage. L’Odyssée peut commencer.

Le studio de créateurs puise ses inspirations dans le cinéma et les œuvres aux ambiances lumineuses particulières. Chaque meuble ou luminaire est un personnage de la partition cinématographique que le duo écrit à quatre mains. Et le film Mydriaz, dans lequel le sujet devient lui aussi un personnage de l’histoire, hybride les ambiances brumeuses, lumineuses et colorées. Résolument tourné vers une esthétique futuriste et moderne, Mydriaz n’en sacrifie pas moins son vocabulaire formel sur l’autel de la froideur minimale : les univers qu’ils développent sont enveloppants, chauds et emprunts de mystère. Les œuvres Crépuscules illustrent à elles seules ces pièces-univers : à la fois miroirs, objets volants non identifiés, appliques-lentilles et soleils de laiton aux vernis de ciel couchant.

Jennifer Midoz et Malo du Bouëtiez se positionnent comme des scénaristes des matières et de la lumière. Leurs pièces, tels des univers symbiotiquement reliés les uns aux autres, participent à renouveler activement notre expérience dans laquelle notre propre corps et l’espace environnant entrent tous deux en interaction. « Toute perception est une communication ou une communion […], comme un accouplement de notre corps avec les choses[5] », disait Maurice Merleau-Ponty. L’expérience humaine s’incarne dans une communication perceptive avec le monde.

[1] Michel Blay, Dictionnaire des concepts philosophiques, Paris, Larousse, 2013.

[2] Largement étudiée par Edmund Husserl (trad. de l'allemand par Paul Ricœur), Idées directrices pour une phénoménologie, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1985 ; Edmund Husserl (trad. Mlle Gabrielle Peiffer, Emmanuel Levinas), Méditations cartésiennes : Introduction à la phénoménologie, J.VRIN, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », 1986 ; Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2005.

[3] Le Crocodile d'Aoulef ou Sarcosuchus

[4] Dont l’origine grecque du nom signifie « obscur. »

[5] Maurice Merleau-Ponty, Sens et non-sens (1948) nouvelle éd., Paris, Gallimard, 1996, p. 370.

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